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La fierté d'"Étoile du Cosmos"

(News Mars 2021)


« Ce matin, un levraut, la la la la la… C’est un doux levraut qui, c’est un doux levraut qui, la la la la la... »

L’air de la ritournelle tournait dans sa tête, comme une chansonnette rythmée sur laquelle appuyer ses gestes, dans ce quotidien un peu lourd, un peu fade, un peu terne. La rengaine venait le soutenir de l’intérieur, tel le souffle d’une forge venant lui rappeler les forces qu’il avait déployées par le passé, puis peu à peu ensevelies, peut-être avec l’âge, peut-être avec le confort, peut-être avec le désenchantement.

La comptine fredonnée avec une insistance de plus en plus prononcée, une puissance de plus en plus sensible, ramena à son esprit l’histoire de ce temps où il était un levraut, au poil brun tacheté de gris, au museau frémissant et aux oreilles sensibles comme des vibrisses. Tout jeune et vigoureux, ses yeux noirs avaient cependant dans la lueur de leur fond le plus profond l’ombre d’une triste et permanente inquiétude.

Ce doux levraut, sa maman toute fière l’avait appelé « Étoile du Cosmos » tant elle avait trouvé ses oreilles délicates, aussi délicates et fines, presque transparentes comme les pétales de ces fleurs tournées vers le ciel. Son cœur de levraut généreux et souriant lui rappelait aussi cet espace de pistils ensoleillés au centre de ces jolies corolles qu’elle ne se lassait d’admirer.

« Étoile du Cosmos » donc se trouvait ce jour-là, lové au fond de son terrier, le corps lourd, le poil un peu terne et les yeux toujours aussi assombris. Ses frères et sœurs eux commençaient à bouillir d’impatience. Demain, ce serait la fête d’Eostre et ils espéraient bien pouvoir s’en donner à cœur joie à bondir dans la prairie, à se rouler dans l’herbe, à jouer à saute-levrauts. Leur enthousiasme se trouvait pourtant terni par l’attitude de leur plus jeune frère. Oui, ils avaient tous vécu un terrible drame au cours de la dernière saison de feu ; oui, ils s’étaient retrouvés seuls, sans leur mère, qu’un horrible chasseur à grandes bottes et long fusil avait carabiné d’une seule cartouche un petit matin d’un matin d’été, au bord de la rivière. Oui, ils avaient dû apprendre à se débrouiller plus ou moins seuls ; mais cela avait renforcé les liens entre eux et ils avaient découvert la solidarité des autres peuples les entourant. La fête d’Éostre était là maintenant, et il était temps de faire honneur à leur mère en lui offrant le meilleur de ce qu’ils pouvaient donner. Une de ces choses-là était de faire renaître dans l’œil d’ « Étoile du Cosmos » le pétillement de la simple joie de vivre.

Ses frères et sœurs, après de longues minutes de conciliabule, décidèrent de lancer un appel à Éostre, elle-même. Déesse du Renouveau, elle était, leur semblait-il, la mieux placée de toutes les divinités pour venir épauler « Étoile du Cosmos ». Réunis en cercle, ils mirent tous leur patte droite en avant et se mirent à scander d’une seule voix :

« Éostre, déesse des lendemains heureux et chanceux, Éostre, viens en aide à notre frère las et peureux. »

Ils reprirent tous en chœur plusieurs fois

« Éostre, déesse des lendemains heureux et chanceux, Éostre, viens en aide à notre frère las et peureux ».

Leur conviction et leur désir devait être si puissants qu’Eostre, en pleins préparatifs pour la fête du lendemain, dût interrompre l’essayage de sa tenue de verdure. Un peu contrariée, elle tendit l’oreille… « Que me veulent-ils ces lièvres criant à tue-tête et à cœur perdu ? » Entendant leur requête, elle la transmit aux autres peuples des bois.

Bientôt, les levrauts sentirent leur terrier trembler sous le grattage de grandes pattes à son entrée. Ils pointèrent le museau et virent… et virent… Dieu, ce qu’ils virent, là…


Éostre était-elle en train de leur jouer un vilain tour ? Un grand éclat de rire dévoilant des dents blanches et acérées les rassura : « J’ai entendu l’appel d’Eostre et pour honorer sa volonté, à l’inverse je suis disposé » Les levrauts se serrèrent les uns contre les autres et avancèrent prudemment : Éostre avait décidément employé les grands moyens… un loup pour chasser la peur… ils étaient perplexes.

Le loup reprit : « Je suis venu vous partager un jeu que les 2 jambes utilisent pour effrayer leurs enfants. Je crois que vous pouvez l’employer à l’envers pour rassurer votre frère » Et il leur chantonna la fameuse comptine de « Loup, y es-tu ? »… « Je mets ma chemise »… Les levrauts, encore impressionnés, remercièrent le loup de son ingéniosité… Oui, ils pourraient peut-être décider leur frère à s’extraire du creux de la terre en jouant à le doter de vêtements enveloppants et protecteurs… Ils le regardèrent s’éloigner de son pas cadencé et restèrent longtemps à l’observer jusqu’à s’assurer qu’il n’était plus qu’un vague point, comme la crête d’une graminée se balançant au milieu des sous-bois. Les frères et sœurs devisaient ensemble sur quels habits ou déguisements ils pouvaient utiliser pour leur stratagème quand un papillon tout léger aux grandes et larges ailes bleues vint virevolter autour de leurs oreilles, chatouiller leurs museaux et faire loucher leur yeux. Quant toute l’attention des levrauts fut retenue par la valse du papillon, celui-ci chantonna : « J’ai entendu l’appel d’Eostre et pour honorer sa volonté, à l’inverse, je suis disposé. Suivez-moi ! » Et le papillon mena la petite troupe auprès des premières fleurs à peine écloses. Il déploya sa trompe et se mit à aspirer précautionneusement le nectar déposé au fond des calices. Et soudain, au lieu de se nourrir du précieux liquide, il se mit à souffler si fort que sa trompe se transforma en une sorte de sarbacane lançant les gouttes de nectar sur le pelage des levrauts. Le papillon leur dit : « Si une tige creuse vous prenez, lancer des projectiles vous pouvez ! » Les yeux de levrauts s’écarquillèrent : non seulement leur frère pourrait se protéger avec une cotte de fourrures improvisée, mais en plus il pourrait avoir une arme pour se défendre ! Laissant là le groupe encore tout ébaubi, le papillon ses ailes ouvrit et en direction du ciel repartit. À peine remis de leur surprise, les levrauts se virent distraits par un chant particulier. « Tsi tu – Tsi tu – Ti Du – Tsi Tsi Du » « Tsi tu – Tsi tu – Ti Du – Tsi Tsi Du » La mésange sifflotait tranquillement : «J’ai entendu l’appel d’Eostre et pour honorer sa volonté, à l’inverse, je suis disposée » Elle se mit à voleter de-ci, de-là, déposant aux pieds des levrauts tout un mélange de brins, brindilles, duvets et plumes, restes de coquilles et autres fibres de mousse. En un tour de bec, elle construisit devant eux une sorte de nid à terre, comme un réservoir, disposé à recevoir boules de pollen, vers minuscules, perles de gravier, épines de rosier. Enchantés, les levrauts comprirent qu’ils avaient là le dépôt de munitions nécessaires à la sarbacane. Ils applaudirent la mésange et alors qu’ils la remerciaient chaleureusement, elle rejoignit le monde des hautes branches.

Les levrauts passèrent une grande partie de la nuit à préparer leur plan, enthousiastes à l’idée que le lendemain, ils pourraient enfin voir leur frère ragaillardi par la joie et le plaisir de jouer avec eux, dehors, dans l’espace des vertes prairies. Ils étaient déjà heureux de l’imaginer, cabriolant et galopant toutes pattes dehors, dans l’air encore frais du tout jeune printemps.

Le grand jour est enfin là. Le soleil pointe timidement ses rayons, les nuages s’étirent paresseusement, et la lumière vient dévoiler les silhouettes embrumées des arbres, arbrisseaux et arbustes entourant la clairière.

Le plus grand des levrauts sort du terrier, s’étire langoureusement, remercie Éostre de sa venue sur Terre et de l’ouverture qu’elle donne à la Nouvelle Saison. Grâce à son habit de verdure, elle va répandre autour d’elle vitalité, vigueur et vibration pour que chacun puisse s’accomplir à l’été ans sa forme la plus épanouie, fructueuse et généreuse possible.

Aujourd’hui, Éostre va l’aider lui et ses frères et sœurs à ce qu’ « Étoile du Cosmos » reprenne enfin goût à la vie, avec plus de confiance, d’entrain et de joie. Il se dispose donc à l’entrée du terrier et avec une tresse de branchages, fait un grand bruit tandis que d’une grosse voix, la plus ronde et profonde possible, il se met à crier :

« Amis lièvres et levrauts, je suis le Chevalier-Page d’Éostre et je vous enjoins de venir au plus vite au centre de la clairière pour accueillir notre merveilleuse Déesse ».

À l’intérieur du terrier, les frères et sœurs font mine d’être surpris et commencent à bondir dans tous les sens, à bousculer « Étoile du Cosmos » ainsi qu’à fouiller dans les affaires amassées les jours derniers.

« Chevalier-Page, nous mettons nos chemises ! » Et ils enfilent chacun qui une cotte, qui une étole, qui un poncho de feuilles, brindilles, plumes ou pelages savamment tressés. Dans l’agitation « Étoile du Cosmos » ne peut résister et se voit affublé comme les autres d’une tunique protectrice. De nouveau, ils entendent la grosse voix :

« Amis lièvres et levrauts, dépêchez-vous, je vous en conjure ! Je suis le Chevalier-Page d’Éostre et je veux le meilleur accueil pour notre merveilleuse Déesse. Venez au plus vite au centre de la clairière ! »

La troupe rusée à l’intérieur du terrier joue de nouveau la surprise. Bondissant dans tous les sens, bousculant « Étoile du Cosmos », fouillant dans les affaires amassées les jours derniers, ils s’écrient :

« Chevalier-Page, nous mettons nos chapeaux ! » Et ils enfilent chacun qui un béret, qui une casquette, qui un borsalino de feuilles, brindilles, plumes ou pelages savamment tressés. Dans l’agitation, « Étoile du Cosmos » ne peut résister et se voit coiffé comme les autres d’un casque protecteur.

Une autre fois la grosse voix retentit :

« Amis lièvres et levrauts, voici venu le moment de sortir. Je suis le Chevalier-Page d’Éostre et je vois approcher notre merveilleuse Déesse sur son nuage arc-en-ciel. Venez dès maintenant au centre de la clairière ! »

La troupe aux aguets à l’intérieur du terrier s’agite de nouveau et parés de leurs atours, les frères et sœurs embarquent « Étoile du Cosmos » hors du terrier ; tout le petit monde se retrouve dans la lumière du matin printanier au centre de la clairière.

Là, ils font mine de découvrir la supercherie et décident de se venger de leur frère aîné, s’étant fait passer pour le Chevalier-Page d’Éostre. Ils se saisissent des tiges qu’ils avaient pris soin de préparer, en donnent une à « Étoile du Cosmos » et se mettent à pourchasser leur plus grand frère avec les sarbacanes improvisées et les jets des projectiles amassés dans le nid à terre de la mésange.

L’un d’entre eux vise mal, et la boule de pollen atterrit sur le pelage de l’une de ses sœurs y laissant une tache dorée. La sœur paraissant vexée se retourne contre son frère, un autre vient la défendre, qui vise mal et atteint un autre frère qui se retourne contre le premier et « Étoile du Cosmos » vient le défendre et ainsi de suite de telle enjouée manière que la réunion d’accueil destinée à la merveilleuse Déesse Éostre dérive en partie de paint-ball légère et animée. La troupe est heureuse de voir combien « Étoile du Cosmos » s’en donne à cœur joie avec autant d’insouciance et d’espièglerie.

« Enfin ! pensent-ils dans leur for intérieur. « Étoile du Cosmos » revient à la vie ! » Ils sont là, tous, en train de savourer la réussite de leur complicité et la réalisation de leur vœu le plus cher quand, soudain, la Terre se met à trembler, une fois, deux fois, trois fois.

Frissonnants, ils regardent dans la direction d’où proviennent ces bruits sourds et assourdis. Ils pointent leurs museaux et voient… et voient… Dieu, ce qu’ils voient là ! Éostre en ce jour ne pouvait leur jouer un aussi vilain tour !

Un grand éclat de rire dévoilant des dents blanches et acérées les terrorisent :

« Ah ! vous voilà mes jolis ! J’ai eu votre mère l’année dernière ; aujourd’hui, c’est vous que je vais emmener, tête en bas, pendus à… » Il n’a pas le temps d’achever sa phrase le bougre. « Étoile du Cosmos » et ses frères et sœurs, réunis en un seul front, munis de leurs sarbacanes, font feu de toute épine, fruit dur, gravier, suc brûlant, tique ou ver urticant.

Le chasseur pris au dépourvu lâche son arme, cherche à se protéger le visage, mais il est trop tard ! Ses yeux brûlent atrocement ; ses mains le démangent insupportablement ; il sent les piqûres se multiplier dans son cou, sur ses bras, jambes, torse… N’en pouvant plus, il pousse un déchirant cri de douleur impuissante et s’enfuit à grandes enjambées à travers les fourrés.

Haletant, « Étoile du Cosmos » et ses frères et sœurs laissent jaillir un « Hourra ! » tonitruant et pour célébrer le courage renouvelé d’ « Étoile du Cosmos », ses frères et sœurs l’entourent dans une ronde en chantant à tue-tête :


« Ce matin, un levraut, A vaincu un chasseur ! C’est un doux levraut qui, C’est un doux levraut qui, A choisi la vie ! »



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