Il était une fois le corps d’un coeur.
Il aurait pu être mort, victime d’un meurtre au Paradis.
Mais il tenait à la vie.
Il saignait abondamment, gisait dans une grande mare de sang. Il était là depuis longtemps, inconscient. Heureusement, les secours sont arrivés.
Ils ont vu qu’il tenait grâce à Gauche qui retenait Droite.
Le corps aurait pu finir de se déchirer, tellement l’entaille était profonde, mais Gauche continuait de chantonner doucement, obstinément. Il émanait d’elle une douce lumière comme si elle murmurait à l’oreille de Droite : "Vois tout ce sang qui se répand autour de nous, qui stagne, sèche, s’encroûte et va finir par nous paralyser toi et moi. N’as-tu pas envie de te relever de tout ça, de le nettoyer, de l’effacer ? Je t’en prie, consacre-toi à ce qui est toi ; collabore à ce que la vie circule en toi, autour de toi, et dans les autres membres de la communauté ; sans toi, notre corps n’est plus ! »
Droite soupira : « Je n’en ai pas la force. Regarde-moi. Tu vois, là, à cet endroit, je suis devenu trop raide, trop endurci. Ma chair est comme du bois ; elle ne ressent plus rien. Et là, un peu plus loin, regarde : c’est trop petit, racorni, rabougri, ça ne pourra jamais revenir ! Laisse-moi mourir en paix ! ( … Après un silence…) Ou alors, si tu veux que je reste, trouve-moi un auxiliaire, un substitut qui me refasse palpiter. Quelque chose qui me gonfle à bloc, et qui me fait oublier cette partie inerte de moi. »
Gauche lui répondit dans un souffle : « À petite dose raisonnable, sans doute cela peut être un soutien. Mais si cela devient ton axe, ton pivot, ton support, tu ne pourras plus t’en passer et alors ta vie en dépendra ! Est-ce cela que tu veux ? »
Droite se mit à réfléchir : « Non, bien sûr. Je sais bien qu’une chose est de s’appuyer de façon temporaire pour redémarrer et une autre est que cela se substitue à mon existence propre. Mais sincèrement, comment puis-je faire ? Tu sais toi ? »
Gauche, toute en patience, tranquillité et douceur, lui expliqua : « En regardant tout ce qui revit grâce à tes efforts et à ta plus grande présence chaque jour. » Pareille idée parut complètement incongrue à Droite… En quoi le fait qu’il vivait ou non pouvait impacter son environnement ?
Gauche reprit : « Ne vois-tu pas que les déséquilibres entraînent des compensations qui à terme nous épuisent tous. Nous pouvons t’entourer, être en lien avec toi, t’aider à collaborer avec nous. De temps à autre, nous pouvons nous organiser autrement pour que tu puisses te rétablir. Mais nous avons besoin d’être sûrs que c’est pour te faire grandir, et que cela te bénéficie pour ta croissance. Nous refusons que nos façons d’être t’induisent à rester dans ton état, ou même l’aggravent, juste par complaisance."
- « Je ne sais pas si j’en aurai le courage ! » avoua Droite d’un air résigné.
- « Peut-être peux-tu t’inspirer, poursuivit Gauche, de ceux qui comme toi se sont sentis affaiblis, amoindris, cassés, brisés, anéantis… et qui ont dû dire adieu à leur façon habituelle d’être grands et forts ? »
Gauche serra doucement Droite contre elle et se remit à chanter avec la voix mélodieuse du rossignol, le roucoulement tendre de la colombe, le piaillement joyeux du moineau, le cancanement de l’oie qui alerte, l’humour du merle moqueur. Elle déploya toutes les voix qu’elle put pour rester près de Droite et lui insuffler la bravoure. Tous deux s’endormirent et partirent dans le monde de rêve.
Gauche y rencontra Soleil. Heureux de cette rencontre et comme pour la récompenser de sa ténacité, celui-ci immergea Gauche dans la lumière brûlante et vivifiante de ses rayons. Gauche sut que désormais elle pourrait faire fondre toutes les froides et raides carapaces.
Droite se retrouva face à Lune qui ne se priva pas de lui montrer toutes ses taches. D’un geste contrarié, elle lui asséna : « Voici ce qui reste de toutes tes larmes. Il est grand temps que tu en fasses quelque chose ! Lave, efface, transforme, je ne sais pas moi… mais fais quelque chose ! » Droite était perplexe devant cette noirceur ; il voulait bien en faire quelque chose, oui… mais quoi ?
Le voyant si désemparé, Lune s’attendrit et l’enveloppa de son rayon d’argent. Elle appela ses amies Étoiles. « Voyez mes sœurs comme Droite est embarrassé ! Pouvez-vous l’éclairer ? » Les petites étoiles, prestes, rieuses, agiles, se déplacèrent en dansant, tournant, tournoyant ; elles réalisaient alertes des figures en cascade ou en rondeur comme dans un Kaléidoscope. Droite, étourdi, sentit son esprit s’embrumer, sa logique se défiler et tout d’un coup apparut devant lui ce qui devait être : Lune était belle, scintillante, ses taches noires étaient devenues des nacres irisées comme des perles. Il s’entendit murmurer : « Mais comment est-ce possible ? » Les étoiles rirent sous cape et leur voix cristalline transperça et inonda le corps de Droite : « La juste connexion est libre de toute jalousie. Elle se fait d’égal à égal, en honorant pleinement les forces et talents de tout être, sans l’en déposséder mais en en favorisant le partage entre tous, et dans le respect et l’estime de ce que chacun peut donner et recevoir et de ses limites »
Les yeux de Droite s’emplirent de larmes nacrées. Grâce à ce don des étoiles, il sentit un élan d’amour vers toutes ces traces de blessures que Lune portait pour lui. Il se mit à les regarder délicatement, à les écouter tendrement, à les prendre dans ses bras avec attention. Les larmes nacrées coulant sur son visage tombaient une à une sur chaque tache et instillaient en elles les couleurs de l’arc-en-ciel. Bientôt l’éclat de Lune fut transformé en un rayonnement à la fois puissant et délicat. Droite prit conscience que c’était là le rayonnement qui émanait de Gauche lorsqu’elle chantait. Un bruissement d’ailes lui caressa le visage et le tira de son rêve.
Gauche était là, près de lui. Le sang autour d’eux avait disparu. Il sentit la chaleur émaner du corps de Gauche. Cela lui donna courage et force pour regarder ces parties de lui qu’il connaissait comme sombres et rabougries. Surpris il constata que pendant la nuit, elles aussi s’étaient transformées ; elles étaient maintenant souples et délicates comme des plumes, oscillant, flottant dans l’air, s’imprégnant des ondes et des courants. Une partie de lui était devenue oiseau et pouvait enfin comprendre le chant de Gauche et même lui répondre. Droite étendit son bras et avec sa solidité innée se mit à danser gaiment avec Gauche. Celle-ci se sentant reliée à une base sûre put virevolter avec grâce. Et la beauté de leur complicité insuffla vie et mouvement à toute la communauté.
Et Droite et Gauche
Tournez, Sautez, Pointez,
Et Gauche et Droite,
Chantez, Riez, Dansez
Et Droite et Gauche et Droite et Gauche
Changez !
Ouf ! Le corps du coeur a pu en réchapper ! Les vécus de Droite et Gauche vous conviennent-ils (ou pas) ? Quels seraient ceux que traverseraient votre corps de coeur en pareille situation ? Merci de vos partages en commentaires.
Et si "Coeur prêt à mourir" suscite une prise de conscience, pour choisir l'approche qui vous semble la plus adaptée afin de l'accueillir en étant accompagné-e, c'est ici : https://www.unechouettehistoire-64.com/prestations-individuelles Dans la joie de vous revoir prochainement !
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