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Mai

Le 31 :

[ Jaufré Rudel, prince de Blaye et troubadour de grand renom fut, dit-on, le plus bel amant qui se puisse voir sur la terre. On raconte qu'un jour il tomba amoureux de la reine de Tripoli après qu'un pèlerin ait décrit devant lui les beautés et vertus de cette haute dame. Il s'obséda tant et si fort de cette bien-aimée lointaine qu'il quitta bientôt son château et s'embarqua pour Tripoli, poussé par l'espoir insensé de voir, simplement voir un instant, rien de plus, l'inaccessible étoile. Or, comme son bateau naviguait sous le vent il tomba malade, et si gravement que ses amis pensèrent qu'il ne survivrait pas jusqu'à ce port tant espéré. ...]


Ils parvinrent donc à le convaincre de se remettre d'abord et de retenter l'aventure plus tard. Le troubadour épuisé n'eut pas la force de résister et se laissa transporter jusqu'en sa demeure.

Là, il reprit des forces dans son corps, mais ses amis constatèrent bientôt que son esprit divaguait dans un ailleurs secret, un monde de rêves, et que la flamme de sa pupille semblait à jamais éteinte.


Malgré leurs efforts pour l'entourer, le distraire, lui faire apprécier les moments de présence, une part de lui paraissait éloignée, presque indifférente.


Un de ses amis bien intentionné avisa qu'il serait peut-être bon pour le poète qu'il retrouvât l'usage de la plume. Il lui apporta donc du parchemin, des encres variées et des plumes finement biseautées.

Ravi dans un premier temps, le troubadour écrivit quelques vers mais... constatant leur fadeur, il froissa, déchira, brûla les feuillets d'un geste à la fois désenchanté et rageur et s'enferma de nouveau dans son étrangeté.

L'ami désappointé n'abandonna point. Au bout de quelques jours de réflexion, il joua le tout pour le tout. Se faisant passer pour la belle dame de Tripoli, il écrivit une lettre à son ami et enthousiaste la lui remit.

Jaufré, voyant près du cachet, le nom de l'auteure, prit le pli et les mains tremblantes se mit à le lire.

Des larmes coulèrent sur ses joues et sans mot dire, il s'installa à son pupitre. Il y passa plusieurs jours et plusieurs nuits. Quand il eut fini, épuisé et abasourdi, il fit mander son ami.

En ses termes, le livret il lui remit :

"Mon cher ami, je vous en supplie, faites que ceci arrive jusqu'à Tripoli".

Puis il tourna les talons et s'écroula sur son lit où profondément il s'endormit.

L'ami était bien embarrassé. Que faire maintenant qu'une sorte de nouvelle fièvre s'était emparée du troubadour sur une requête mensongère ?

Plusieurs heures il resta assis, dialoguant au dedans entre ses anges et ses démons.

Il soupira enfin et soucieux s'installa à son secrétaire.

Il écrivit un long courrier à la belle de Tripoli et y joignit l'écrit de l'homme au cœur éperdu.


Et plume au cœur

Chasse la douleur,

À vous les rêveurs

De créer bonheur.


Le 28 :


L'amour lointain,

Peut-être une façon

De rester serein.

Car l'amour de près

Quand dans ta peau

Un jour s'est installé

Par effraction

Il prend aux tripes

À l'âme et au cœur

Et tord l'être de douleur.


Le 21 :


Elle contemple l'arbre

Puis se réfugie contre lui

Au pied, tout près de ses racines,

Assise elle s'évade en rêvant

Hors de ses histoires trop noires.

Elle pédale à vive allure

Cheveux au vent

Jupon volant

Traversant l'air

De la ville ou des champs

Elle caresse l'orange

Sentant sous ses doigts

Les aspérités douces à la fois

Humant le parfum délicat

Des madeleines d'autrefois.

Depuis le quai elle contemple

Le ciel, les nuages, l'océan

Et là bas au loin à l'horizon

La silhouette du grand bateau

De retour des grands continents.

Enveloppée dans l'arôme amer

De sa tasse de café sur le zinc,

Le visage appuyé dans sa paume,

Page après page elle effeuille

En quête de neuf son quotidien.

Embarquée dans le courant

Du torrent sauvage

Devenant fleuve impétueux

Elle plonge, se noie presque,

Remonte et échoue sur la grève.

Dans la brise rafraîchissante

Du printemps, autour d'elle

Elle danse cabriolant et virant

De ses ailes tranchantes et agiles,

Traçant son chemin d'hirondelle.

Arrivée enfin dans le lieu intime

De son imaginaire

Où le démon côtoie l'ange

Elle entrevoit une lumière

Telle une flamme éphémère.

Au pied de l'arbre, son tambour

Résonne au galop du cheval fou

Dans ce grand magasin des mots,

Des images, des visions, des éclairs

Pour lui rendre des pieds à mettre sur Terre.

Déçue des hommes, elle

Cherche désormais ailleurs

Le réconfort pour ses peines

De corps, de cœur et d'âme.

Le 05 :

Respirer à pleins poumons

J'aimerais bien

Mais je ne peux point

Je dois me souvenir

Dans mon corps

Que la mort existe.

Respirer à pleins poumons

J'aimerais bien

Mais je ne peux point

Je dois me taire

Et garder cette poussière

Et cracher, tousser

Respirer à pleins poumons

J'aimerais bien

Mais je ne peux point

Je dois ravaler mes mots

Mes larmes et cacher

Ce chagrin qui le cœur m'étreint

Respirer à pleins poumons

J'aimerais bien

Mais je ne peux point

Je préfère me remplir

De fumée brumeuse

Toxique et délicieuse

Respirer à pleins poumons

J'aimerais bien

Mais je ne peux point

Alors je trouve dans les mots

Une voix, une inspiration

Pour souffler dans le chaos

Respirer à pleins poumons

Le privilège de celui qui sait

Que tout vient à point.



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