Le 8 :
L'arbre
Dans un pays aride, fut autrefois un arbre prodigieux. Sur la plaine, on ne voyait que lui, largement déployé entre les blés malingres et le vaste ciel bleu. Personne ne savait son âge. On disait qu'il était aussi vieux que la Terre. Des femmes stériles venaient parfois le supplier de les rendre fécondes, des hommes en secret cherchaient auprès de lui des réponses à des questions inexprimables et les loups lui parlaient, certaines nuits sans lune, mais personne jamais ne goûtait à ses fruits.
Ils étaient pourtant magnifiques, si luisants et dorés, le long de ses branches maîtresses pareilles à deux bras offerts dans le feuillage qu'ils attiraient les mains et les bouches des enfants ignorants. Eux seuls osaient les désirer. On leur apprenait alors l'étrange et vieille vérité. La moitié de ces fruits était empoisonnée. Or, tous, bons ou mauvais, étaient d'aspect semblable. Des deux branches ouvertes en haut du tronc énorme l'une portait la mort, l'autre portait la vie, mais on ne savait laquelle nourrissait et laquelle tuait. Et donc on regardait mais on ne touchait pas.
Vint un été trop chaud, puis un automne sec, puis un hiver glacial. Neige et vent emportèrent les granges et les toits des bergeries. Les givres du printemps brûlèrent les bourgeons, et la famine envahit le pays. Seul, sur la plaine, l'arbre demeura imperturbable. Aucun de ses fruits n'avait péri. Malgré les froidures, ils étaient restés en aussi grand nombre que les étoiles du ciel. Les gens, voyant ce vieux père solitaire miraculeusement rescapé des bourrasques, s'approchèrent de lui, indécis et craintifs. Ils interrogèrent son feuillage. Ils n'en eurent pas de réponse. Ils se dirent alors qu'il leur fallait choisir entre le risque de tomber foudroyés, s'ils goûtaient aux merveilles dorées qui luisaient parmi les feuilles, et la certitude de mourir de faim, s'ils n'y goûtaient pas.
Comme ils se laissaient aller en discussions confuses, un homme dont le fils ne vivait plus qu'à peine osa soudain s'avancer d'un pas ferme. Sous la branche de droite, il fit halte, cueillit un fruit, ferma les yeux, le croqua et resta debout, le souffle bienheureux. Alors tous, à sa suite, se bousculèrent et se gorgèrent délicieusement des fruits sains de la branche de droite, qui repoussèrent aussitôt, à peine cueillis, parmi les verdures bruissantes. Les hommes s'en réjouirent infiniment. Huit jours durant, ils festoyèrent, riant de leurs effrois passés.
Ils savaient désormais où étaient les rejetons malfaisants de cet arbre : sur la branche de gauche. Ils la regardèrent d'abord d'un air de défi, puis leur vint une rancune haineuse. A cause de la peur qu'ils avaient eu d'elle ils avaient failli mourir de faim. Ils la jugèrent bientôt inutile que dangereuse. Un enfant étourdi pouvait, un jour, se prendre à des fruits pervers que rien ne distinguait des bons. Ils décidèrent donc de la couper au ras du tronc, ce qu'ils firent avec une joie vengeresse.
Le lendemain, tous les bons fruits de la branche de droite étaient tombés et pourrissaient dans la poussière. L'arbre amputé de sa moitié empoisonnée n'offrait plus au grand soleil qu'un feuillage racorni. Son écorce avait noirci. Les oiseaux l'avaient fui. Il était mort.
Si l'humain un peu fou
Se prenait un jour pour un arbre,
Il verrait qu'il possède
Des racines,
Parfois puissantes,
Parfois bancales,
Un tronc soumis aux épreuves
Du temps qui passe
Avec autant de clémence
Que d'intempéries,
Une écorce qui invite
Au contact, à la caresse
Ou au contraire qui prévient
Par sa rugosité de l'amertume
De la sève l'ayant nourrie
Des branches déployées
Au petit bonheur des saisons
Et des circonstances
Des feuilles comme des pages
Parfois arrachées,
Parfois inéluctablement
Tombées
Des fleurs de ravissement
Éphémère comme le bonheur
Des petits instants
Et des fruits fibreux ou juteux
Sains ou pourris
Pleinement charnus
Ou peu ou prou attaqués
Par la vermine.
À mener des vies trop citadines
L'humain perd de vue l'arbre
Sur la colline et se coupant
Par trop d'idéaux jugeant
Il en arrive à couper
La branche
Sur laquelle lui-même
Il est assis.
Le 6 :
Au temps du choléra et de la peste noire, les gens chargés du soin du peuple avaient fait afficher aux portes des églises ce qu’il fallait savoir pour combattre le mal. Personne ne lisait ces circulaires tristes. Un jour vint à un vieux libraire l’idée de les écrire en vers. Du coup on les apprit, on les chanta partout, et le malheur fut moins rude.
Sachez que pour ces gens la poésie était le plus haut bien du monde. Elle pouvait effrayer la mort.
La poésie la mort
Pouvait effrayer.
Le rythme des vers
courait plus vite
Plus agile
Que la faucheuse
Encombrée
De son outil.
La mélodie des sons
agréait l'oreille
Plutôt que le coup sec
Du fil de vie coupé,
Du pied privé d'herbe
Dessous,
Du mot rébarbatif
Écrit noir sur blanc.
Le message traçait
Son chemin
Au grand dam
Des savants et médecins ;
Ne prônant que le vinaigre,
Ils oubliaient que la vie
Tient autant
à la force de l'Esprit
Et à la finesse de l'âme
Qu'à l'étroite rigueur
Des dogmes et théories.
La mort, la poésie
N'en a pas peur,
Puisqu'elles ont en commun
De connaître l'invisible
L'improbable
L'intangible.
Le 5 :
Le divin se goûte. Saveur et savoir sont étymologiquement liés. Savoir ne vient pas de scire d’où
en revanche vient "science" mais de sapere, "goûter".Pour connaitre le divin, il faut le goûter. Avec notre corps. Avec nos sept sens. Avec l’estomac et avec le sexe aussi. Dieu nous a donné trois choses : le parfum de la fleur, l’amour de la femme, la sublimation de la prière et dans cet ordre ; le soufisme est un parfum.
Maryline Desbiolles, "Charbons ardents"
Goûter ... est ce que fait le cuisinier dès que sa recette prend forme après un temps de préparation.
Avant de goûter, il s'est donc mis en action.
Pour goûter le divin, peut-être alors est-il besoin d'aller vers lui et ... d'apprendre à le connaître, à le reconnaître, à accueillir sa forme, sa densité, sa texture.
Le divin est dans une fleur, dans une femme, dans la prière... Comment accéder à leur beauté ?
Il faut juste du nez me répondrez-vous peut-être ?
Ou alors une certaine dose de bons sens éprouvés au travers de l'humanité de nos corps.
Mettons fin aux clivages, aux dissociations, aux soumissions, aux anesthésies et déracinements divers.
Dansons, chantons, faisons des rimes ou l'amour. Relions-nous.
Le 4 :
Cadavre exquis / Forum Léo Ferré / Vendredi 25 mars 2022 Q : Quelle est donc la plus fragile et secrète des merveilles, qui demeure dans la plus sombre et profonde des galeries de la plus humide, froide et improbable des grottes ? R : C’est une immense envie ! Q : Qu’est-ce que le temps ? R : C’est le printemps ! Q : Qu’est-ce que cette drôle de question ? R : En fait, si vous regardez bien, il n’est pas possible de caresser la jeune et frétillante sauterelle à rebrousse-pattes. En effet, à défaut de poils, ses membres propulseurs sont dotés de fines et pointues épines, toutes orientées vers le bas, acérées comme celles des roses. Cela leur est utile afin de rester mieux accrochées aux hautes herbes quand elles chantent ! (réaction : Mais qu’est-ce que cette drôle de réponse ?! Ha ! Ha !) Q : Qu’est-ce qu’il y a dans ma pauvre tête ?? R : L’AMOUR Q : Quel est le sens de la vie ? R : C’est une réunion de conteurs Q : Qu’est-ce que la poésie ? R : C’est le centre de tout qui détermine le contour ! Q : Qui est Henri Gougaud ? R : C’est du miel dans la vie Q : Qu’est-ce que la folie ? R : C’est le monde en marche Promis, tout est vrai! Ce n'est pas un poisson d'avril.
A : "Pourquoi Nasreddin ne disait-il pas "non" à ceux qui voulaient du bouillon ?"
B : "Tu poses trop de questions !!!"
A : ... (Silence. Fin de la réflexion)...
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