Il était une fois une petite fourmi, persévérante et travailleuse, mais qui dans sa file, faisait immanquablement un faux pas.
Elle suivait les autres, portant son butin, comme les autres, toujours soucieuse que la colonie soit contente et se porte bien. Mais immanquablement, elle faisait un faux pas.
La plupart du temps, elle parvenait à dissimuler le décalage, à garder l'équilibre et à rattraper la cadence. Elle ignorait si ses compagnes s'apercevaient de son défaut ; toujours est-il qu' elles n'en laissaient rien paraître. Certaines autres fois, c'était plus compliqué ! Non seulement elle s'embrouillait les pattes, mais en plus elle avait la tête qui tournait, s'étourdissait, s'alourdissait au point de ne plus se reconnaître. Elle devait quitter la file, mettre son bagage à terre, et attendre... elle ne savait trop quoi... elle ne pouvait qu'attendre... bien sûr, chouchouter son dos endolori par la charge, rafraîchir ses antennes à la rosée, soulager ses pattes dans l'argile, chanter à tue-tête en écho à ses compagnes, tout cela lui faisait du bien, mais immanquablement, un jour ou l'autre, ce faux pas sur fond de vertige revenait la surprendre et elle devait quitter la file, mettre son bagage à terre, et attendre... elle ne savait trop quoi... mais elle ne pouvait qu'attendre...
Bien sûr, certaines fourmis bien intentionnées étaient venues lui proposer aide, compagnie et soutien.
Il y avait eu la fourmi musicienne qui lui avait joué de longues romances. Ensemble elles auraient pu composer des airs en duo, en écho ou en canon. La fourmi musicienne était hélas trop éprise des mélodies en solo pour rester avec notre petite fourmi boiteuse.
Il y avait eu aussi la fourmi rieuse qui l'avait beaucoup amusée et fait rire aux éclats, dorlotée et se sentir presque comme les autres. Ensemble, elles auraient pu composer une histoire heureuse, avec un happy-
end de conte de fées. La fourmi rieuse manquait hélas de sérieux et s'était jouée de la petite boiteuse qui n'y avait vu que du feu.
Il y avait eu la fourmi lumineuse qui avait éclairé la forêt avec une telle intensité que le jour ne se distinguait plus de la nuit ; le vide semblait à jamais rempli ; les ennuis tombés dans l'oubli. Ensemble, elles auraient pu distribuer des étincelles de vie, en veux-tu en voilà, et illuminer le monde de ces éclats ensoleillés. La fourmi lumineuse était hélas magicienne illusionniste et repris sa route dès son tour de magie à bout de batterie.
La petite fourmi boiteuse éblouie et aveuglée se sentait de plus en plus démunie. Cela faisait longtemps maintenant qu'elle avait quitté la file, mis son bagage à terre, et qu'elle attendait... elle ne savait trop quoi... mais elle ne pouvait qu'attendre...
Enfin au loin elle vit arriver la fourmi solitaire, enfin c'est ce qu'il lui paraissait. La fourmi solitaire prit le temps de l'écouter et comprit qu'il s'agissait peut-être pour la petite boiteuse de retrouver son rythme. Alors ensemble elles jouèrent à alterner des noires, des blanches, des silences, des soupirs, des croches, des demi-croches, et même des accroches. La petite boiteuse heureuse se prit à espérer : aurais-je trouvé la place qui me va bien ?
La petite boiteuse, l'esprit embrumé de trop de vieilles mélodies, la mémoire encombrée de vieilles histoires, et encore toute éberluée de son réveil illusoire, ne savait plus qu'une chose : elle avait quitté la file et mis son bagage à terre. S'accrocher à la fourmi solitaire qui ressemblait à une flamme complémentaire était bien tentant. Mais cela leur serait-il salutaire ? La fourmi célibataire à l'esprit libertaire avait sûrement le regard fixé sur des horizons d'évasion aussi vastes que son désir de futures explorations.
Alors à votre avis, que se sera-t-il passé pour la petite boiteuse ? Aura-t-elle su conserver le rythme des noires, des blanches, des silences, des soupirs, des croches et des demi-croches sans s'accrocher et laisser s'éloigner son amie de passage sans anicroche ?
Nez crochu nez pointu De la suite peut-être Serez-vous déçu Cœur fendu cœur collé La fin vous appartient, D'en décider il vous revient !
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