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LA SOURIS RÊVEUSE

(News Avril 2021)


« Je suis toi ! » C’est la réponse que la petite souris entendit. Et elle n’en revint pas.

Cette petite souris, à l’esprit cartésien, pragmatique et terre à terre, était une souris suffisamment fine pour se faufiler dans les cachettes grignotées au coin des plinthes et des placards de toute la maison et qui au fond d’elle nourrissait un rêve, une illusion peut-être… elle regardait dehors et n’avait de cesse d’admirer la légèreté de la femme-papillon.

Elle la voyait aérienne, aussi fluide et flottante que la mélodie qui émanait de sa flûte magique, telle un parfum aux notes fleuries et envoûtantes. Sa peau au teint mat lui semblait lisse et douce, aussi délicate qu’un pétale de rose velouté. Elle se promenait en voletant de-ci, de-là, se mirant dans les reflets irisés des gouttes de rosée.

La petite souris quant à elle trouvait que sa longue et fine queue ne faisait que l’entraver dans ses courses, haletantes au rythme de ses quatre petites pattes parcourant des distances en ridicules centimètres. De son museau ne sortaient que des petits « couic-couic » pleurnichards et peureux, effrayée qu’elle était à l’approche du moindre deux-jambes. Son poil gris laissait des traces de son passage à chaque fois qu’elle s’accrochait à un coin de meuble. Et de surcroît, elle devait garder les yeux grand ouverts sous peine de se retrouver coincée entre un clou et un ressort dans une de ces affreuses tapettes à rongeurs disposées avec la malice piégeuse de celui qui revendique son territoire.

La petite souris devenait de plus en plus morose, râleuse, rageuse, et se repliait chaque jour un peu plus au fond de son trou à rat, envieuse et jalouse de ne point devenir aussi belle, admirable et courtisée que la femme-papillon. Elle était là, à se morfondre, s’agaçant à tournicoter sur elle-même et à se mordiller le bout de la queue. L’épuisement et le tournis finirent par la faire sombrer dans un ailleurs de ténèbres.

Dans cet autre monde, elle discerna soudain la silhouette d’une souris qui lui ressemblait à s’y méprendre : une queue aussi longue et aussi fine ; des pattes toujours aussi courtes ; un poil toujours aussi gris ; et des yeux toujours aussi grands. Interloquée, elle l’interpela : « Qui es-tu toi ? » L’autre, affairée, loin de s’interrompre dans son mouvement, lui répondit : « Je suis toi ». - « Mais comment peux-tu être moi, si moi, je suis déjà moi ! » - « Sais-tu vraiment qui tu es ? » lui répondit la souris des ténèbres. Notre amie resta bouche bée. Je veux dire museau bé. Ah… bein ça… elle ne s’était jamais encore posé la question. Elle resta silencieuse un moment et observa celle qui semblait être son autre elle. Cette dernière sourit et reprit la conversation :


- « Cela fait longtemps que j’attends ta visite et je suis bien heureuse que tu sois là aujourd’hui. Je peux enfin t’offrir ce que je t’ai préparé pour que ton cœur se réjouisse que tu sois qui tu es. » La souris des ténèbres déposa devant la rêveuse un joli paquet cadeau. - « Tiens, emporte-le et utilise-le à bon escient ! » La souris des ténèbres disparut aussi vite qu’elle était apparue, dans un éclair de lumière. Notre amie qui ne savait plus bien qui elle était ni où elle en était se frotta les yeux se demandant si elle rêvait encore puisque devant elle se trouvait… un paquet cadeau… Méfiante et prudente comme à son habitude, elle commença à en grignoter méthodiquement le papier. Un coin par-ci, un coin par-là. Cette tâche l’occupa plusieurs jours et plusieurs nuits, plusieurs nuits et plusieurs jours. Elle dut faire des pauses, et réajuster sa stratégie en maintes occasions. Elle se rendit compte en effet que, découpant le papier avec une obstination acharnée, elle créait en fait des confettis, qui s’entassaient, s’entassaient, s’entassaient au point de bientôt ne plus la laisser bouger ni respirer dans son modeste logis.

Entrevoyant le danger de l’asphyxie, elle comprit qu’elle devait agir et faire autrement pour pouvoir mener à bien son entreprise. Elle resta un long moment assise, à contempler le gros tas de confettis qui était en passe de se transformer en une pyramide imposante et menaçante. Elle y discerna les différentes couleurs du papier et se résolut à faire du tri. Il y aurait désormais une petite pyramide pour chaque couleur et aussi une pyramide multicolore. Plusieurs petites pyramides, cela lui semblait plus facile à organiser et à déplacer. En revanche, cela continuait à occuper autant de volume et d’espace dans son chez elle. Il devenait donc urgent qu’elle trouve une solution pour se départir de tout ce papier amassé, de sorte qu’il puisse servir à quelque chose ou à quelqu’un. Déjà elle était obligée de s’aventurer à l’extérieur pour trouver de quoi le transporter : un morceau de tissus un peu grand, mais pas trop ; une feuille de plante résistante et souple à la fois ; une écorce en creux et plutôt légère. Elle soupirait d’inquiétude face aux dangers qu’elle allait devoir affronter pour mener à bien son idée. Cependant, sa résolution restait intacte. Quelques jours plus tard, elle se sentait fière de ce qu’elle avait accompli : elle avait échappé aux embûches qui finalement étaient bien trop visibles pour qu’elle tombe dedans ; de plus, elle avait permis des petites joies dans la maisonnée. Elle avait déposé le tas multicolore dans la chambre des enfants qui, en le découvrant, avaient passé un grand moment à danser, jouer et rire comme pour un jour de carnaval. Elle avait laissé l’ocre, le gris, le marron dans l’atelier, près du matériel à bois. Le chef des deux-jambes s’en étonna et, prenant de la colle, transforma les confettis en pâte-à-bois pour son bricolage. Quant aux tas vert, bleu et rose, certains étaient restés près des plantes dans le salon et d’autres près du bureau. L’épouse du chef s’était émerveillée de ce cadeau tombé du Ciel : elle allait pouvoir pailler les pieds de ses fleurs de sorte à ce qu’elles supportent mieux la chaleur de l’été et fabriquer de magnifiques cartes postales pour témoigner de son affection à ses amis.

La petite souris était donc ravie d’avoir pu être à l’origine de ces petites joies. Enfin… ce n’était pas totalement elle… c’était surtout son autre elle… celle qui lui avait fait comprendre que peut-être être elle, c’était autre chose que ce qu’elle croyait. Et puis, elle devait se rendre à l’évidence : ce qui lui avait permis cette découverte, c’était surtout un de ses « attributs » auquel elle n’avait jamais vraiment prêté attention. Si elle avait pu tailler autant de confettis, c’était surtout grâce à ses petites dents, fines, aigües et extrêmement solides. Elle se rendit alors compte que jusqu’à ce jour-là, elle n’avait jamais vraiment pris conscience de cet atout qui lui paraissait tellement évident qu’il en était inaperçu pour elle. Elle remercia silencieusement son autre elle, celle des ténèbres, et sortit de sa rêverie. Bon, ce n’était pas le tout. Le papier était une histoire ancienne maintenant ; il fallait peut-être s’intéresser désormais à ce qu’il enveloppait. La petite souris n’y avait pas prêté attention, occupée qu’elle était à son rangement méthodique et voilà que maintenant, ô surprise !, elle le voyait…. Et aussitôt… elle se mit à trembler de terreur …

Ce que le papier avait caché à sa vue n’était autre que son pire ennemi ! Il était là depuis plusieurs semaines dans son nid, et elle n’y avait vu que du feu. Comment avait-elle fait pour ne pas voir l’évidence, encore une fois. Il était là, devant elle, énorme, froid, entortillé. Elle ne connaissait que trop bien son efficacité mortelle pour avoir vu mourir tant des siens entre ses spires. Comment avait-elle fait ? Glacée d’effroi, elle se remit à tourner sur elle-même et à se mordiller frénétiquement le bout de la queue. Elle tentait tant bien que mal de se concentrer et de réfléchir. De garder la tête froide. Voyons, voyons…. La souris des ténèbres ne pouvait être cruelle au point de lui souhaiter la mort. C’était impossible. Il devait bien y avoir quelque chose à découvrir, à regarder autrement, à illuminer d’un autre jour ! Pour l’instant, ce qui était rassurant, c’est qu’il ne bougeait pas. Donc petit à petit, la souris retrouva un peu de calme ; elle put se tenir tranquille dans un coin de son trou et le regarder, l’observer, le détailler, le scruter, sous tous les angles qui lui étaient possibles. Elle put même s’en approcher et le toucher du bout de l’ongle de l’une de ses menues petites pattes. En fait, elle l’avait toujours vu couché. Couche sur cette maudite planche de bois, avec un clou caché sous du fromage à l’autre bout… pour la tentation… l’irrésistible, irrépressible tentation… Elle savait que sa détente était bruyante et broyante, redoutable et fracassante.

Mais là, il était couché devant elle, à même le sol, et il semblait bien inoffensif. De sa petite patte, elle le poussa d’abord timidement et puis un peu plus fort. Le ressort – car c’était bien un ressort- se mit à rouler lourdement sur son flanc. La petite souris se demanda d’où venait l’efficacité inéluctable de son fonctionnement. Alors, prudemment, à petites avancées et grands bons en arrière, elle commença à tester, à expérimenter. Elle se rendit compte que si elle se plaçait à une extrémité en faisant un peu de compression, le ressort la renvoyait automatiquement un peu plus loin que sa ligne de départ. Elle commença à y trouver plaisir et se prit au jeu, jusqu’au moment où, ayant appuyé peut être un peu trop fort, le ressort la projeta contre le mur de sa cachette. « Wow ! » se dit la petite souris un peu étourdie. « Heureusement que le mur m’a arrêtée ! » Elle resta là, un instant, à reprendre ses esprits, ou à les chercher… elle ne savait plus très bien… Toujours est-il que dans cet entre-deux où elle était allongée, elle revit l’image de la femme-papillon, légère et libre de ses mouvements. Quand elle rouvrir les yeux, elle se trouvait là, par terre, comme le ressort, un peu dans son prolongement d’ailleurs, comme si ses petites pattes arrière étaient prêtes à s’appuyer sur l’extrémité de la spirale. Elle se leva d’un bond d’un seul. « J’ai trouvé ! » s’écria-t-elle, se frottant les petites pattes et pour une fois, caressant les écailles de sa queue.

Elle devait planifier, organiser son plan d’attaque. D’abord trouver un support et le disposer là, au coin de la maison, à l’angle du jardin. Ce fut le programme des journées suivantes : trouver ce plan incliné qu’elle placerait contre le mur. Une fois la cale en place, elle choisit de reprendre son souffle le temps nécessaire. Elle devait se sentir forte et en forme pour la prochaine étape. Au bout de quelques bons repas, bons sommeils et bons exercices, elle se décida. Munie de casquette, gants, petit sac-à-dos et lunettes d’aviateur, elle réussit à faire rouler le ressort en toute discrétion hors de la maison, à le faire basculer depuis le support et à le mettre en position verticale. Avec du jonc tressé à la manière de sangles, elle comprima les spires de chaque côté du ressort. Elle sortit de son sac à dos deux couteaux bien affûtés et les chaussures à lanières qu’elle avait pris soin de préparer. Elle les enfila, grimpa au sommet du ressort, y fixa les lanières.

Le grand moment était arrivé. C’était quitte ou double !

Elle prit une grande inspiration ; se saisit d’un couteau dans chaque main ; leva les bras et… « CRAAAC » les sangles lâchèrent. Un grand « YOUHOUUUU ! » retentit dans la campagne.

Le chef des deux-jambes, son épouse et les enfants se précipitèrent stupéfaits à la fenêtre. Jumping-Mouse, libre et légère comme la femme-papillon, découvrait le monde depuis la vision d’en-haut. Sa vie en serait sûrement bouleversée…. à vous de l’imaginer… Et Youpala en bas, Et Youpibo en haut, La souris résolue s’en va Voguer par monts et par vaux.



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