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Petit Nuage Blanc

Dernière mise à jour : 19 nov. 2022


Il était une fois un nuage. Un nuage blanc, au milieu d’une mer de nuages noirs, gonflés, grondants, menaçants. Le petit nuage blanc suivait le mouvement, chahuté, bousculé. En fait, s’il avait désiré suivre une autre route, il n’aurait pas pu, tellement la pression était intense et l’enserrement étroit.

Petit Nuage Blanc était tout tremblant ; loin d’avoir une grosse voix tonitruante, il laissait plutôt échapper comme un sifflement enroué que même ses voisins les plus proches avaient du mal à percevoir.

Balloté ainsi de droite et de gauche, Petit Nuage Blanc se trouvait pris dans une course bien malaisée, voire même douloureuse et étouffante. Dès qu’il voyait une éclaircie percer entre deux volutes sombres, elle était aussitôt obscurcie par la vague déferlante des spirales enroulantes comme des langues aspirantes. Il n’avait point d’échappatoire.


Allant ainsi comme enchaîné à un mauvais train, il se demandait bien entre deux roulis et ondulations vertigineuses comment il avait fait pour se retrouver là. Certains, le surprenant pensif, lui crachotaient de leurs embruns revanchards « Arrête de penser, agis ! » D’autres, interpellés par son air perplexe, lui soufflaient à gros coup de vents : « Si tu en es là, c’est bien parce que tu l’as mérité ! Cherche bien… Tu as sûrement quelque chose à te reprocher ! On n’en arrive pas là par hasard ! » D’autres encore profitaient de ses instants de distraction pour peser encore davantage sur lui, et lui faire bien sentir leur force, leur importance, leur suffisance et qu’il en fallait bien peu pour qu’il finisse ratatiné, écrasé, écrabouillé.

Lui, Petit Nuage Blanc, était pourtant bien convaincu qu’il était là à cause d’un concours de circonstances où il avait été pris de court. Et que dans un mic-mac de confusion, comme ceux où on te demande « À droite ou à gauche ? » Et que toi tu réponds à gauche en montrant la droite et où tu n’as pas le temps de te ressaisir et de te réorienter que déjà t’es sur la mauvaise voie…

Petit Nuage Blanc savait bien au fond de lui que la situation devait changer et il se mit à imaginer plusieurs possibles.


D’abord il se prit à se souvenir que d’autres petits nuages blancs existent ailleurs dans l’espace. Il y a celui qui se crée par les matins gelés, juste au bout du bec des oiseaux ou des lèvres des humains chantants. Ses délicates volutes s’envolent avec légèreté sur le rythme des mélodies offertes et partagées. Celui que se glisse sur les carreaux et les vitres, les jours de contrastes, vient jouer avec le regard à cache-cache sur les reflets et les paysages. Celui qui rebondit de la tasse de chocolat, ou de l’assiette de soupe, élevant avec lui les parfums et les saveurs pour les faire voyager dans l’atmosphère des rassemblements. Celui plus impétueux qui éclabousse là, tout près de la cascade, et vient caresser avec tendresse les joues des badauds admiratifs.

Absorbé dans ces images, Petit Nuage Blanc continuait de suivre le flot environnant, oubliant quelque peu les sensations désagréables du voyage. Se rappeler tant d’enchantement pétillant émoussait les aspects les plus ardus de ses conditions. Certes, cela était bienvenu. Mais, il était encore là… engoncé au milieu d’une mer de nuages noirs, gonflés, grondants, menaçants, qui ne lui ressemblaient en rien… ni en couleur, ni en épaisseur, ni même en texture. Être différent, d’accord, c’est une chose. Se sentir pris dans un étau de « Avance ou disparais ! », c’en était une autre !

Son bonheur aurait été qu’un échange puisse s’établir… « Il vient d’où ton blanc ? » « Et toi, il te sert à quoi ton noir ? » « Imagine, si tu étais aussi costaud que moi, que pourrais-tu faire ? » « Et toi, si tu devenais souple comme moi ? » Mais les nuages noirs étaient pris dans un courant, un courant qui les faisaient courir, en avant, toujours en avant, un courant qui les faisaient se gonfler, devenir importants, imposants, visibles de loin, et d’encore plus loin !

Petit Nuage Blanc resta un moment en suspens, et se mit à observer l’horizon. À cette cadence, ils auraient bientôt fait trois fois le tour de la Terre ! À force de vitesse, ils risquaient assurément de s’embobiner les uns les autres, de se mettre à tourbillonner, à perdre un peu la tête et beaucoup le contrôle, à secouer un peu trop fort les arbres sur leur passage, à soulever par mégarde la toiture de quelques maisonnées… et que fatalement, on crierait bientôt haro sur l’ouragan ! Petit Nuage Blanc s’efforça donc de parler plus fort, désireux de faire part de la vision qu’il avait depuis là où il se trouvait. Mais la troupe emballée continuait d’avancer, d’avancer encore, à vive allure, à grande cadence, à un train d’enfer. Petit Nuage Blanc, impuissant, se rendit compte qu’il s’épuisait dans sa tentative messagère et conclut qu’au lieu de s’époumoner, il devait se concentrer afin de trouver une autre issue, dont il ignorait si elle était de partir et laisser la grisaille à son destin, ou si elle était de rester et d’apporter un grain de quelque chose.

Oh… pas forcément un grain de tempête, non ! Bien que les nuages soient doués en la matière ! Peut-être plutôt un grain d’astuce ? Ou un grain de folie ? Ou mieux, un grain de beauté ! Voilà… Petit Nuage Blanc avait trouvé la solution. C’était un grain de beauté qui changerait la donne. Un grain de beauté particulier… Pas une de ces mouches factices qui volètent sur les visages et les décolletés. Non. Plutôt un geste un peu fou, une danse virevoltante qui apporte joie, grâce et bonté, un geste qui invite le soleil à illuminer l’espace. Un geste de beauté, quoi !

Les nuages noirs, ainsi surpris, freineraient-ils leur funeste cavalcade ? Se laisseraient-ils réchauffer par les rayons de l’astre lumineux ? Leur noirceur pâlirait-elle sous l’effet de la chaleur ? Ou leurs aspérités rocailleuses s’adouciraient-elles en une blancheur cotonneuse et reposante, voguant désormais avec tranquillité au creux d’une mère azur, paisible et soutenante ?

Épris de cette perspective, Petit Nuage Blanc se pliait en quatre, en huit, en douze ; se torsadait en tresses de trois, six ou neuf brins, se concentrait en flocons de cinq, dix ou quinze microns. Il était intimement convaincu d’une fin heureuse, malgré des apparences contraires et qu’il voulait croire trompeuses.

Il dut se rendre à l’évidence d’un inconvénient majeur : il se trouvait en plein paradoxe. Alors qu’il aspirait lui-même à de l’espace et à de la sérénité, qu’il souhaitait qu’autour de lui les autres puissent l’accepter en dépit de son rythme plus lent et de son périmètre télescopique, il se trouvait pris dans l’engrenage de l’ambiance, et démuni de ces qualités qu’il avait envie de montrer autour de lui.

C’était désormais clair pour lui : pour ne serait-ce qu’oser espérer que les autres s’arrêtent un instant à l’écouter et à le regarder, il allait devoir trouver le moyen d’apprendre à exprimer le calme tout en suivant une folle cadence, et à faire respecter un peu de distance. Une vraie péripétie périlleuse digne des meilleurs acrobates !

Un peu dépité, voire même quelque peu découragé, Petit Nuage Blanc avait du mal à se voir galoper doucement tout en restant dans un touche-touche séparément.

Sous l’ampleur du défi, son dos s’arrondit, sa panse se creusa, ses joues s’aplatirent, se boucles se défrisèrent et son teint en devint même grisâtre. Mais il s’acharnait à trouver trucs et astuces, stratégies et stratagèmes, pour parvenir à montrer ce qu’il voulait montrer. Il continuait de se plier en quatre, huit ou douze ; à se torsader en tresses de trois, six ou neuf brins, à se concentrer en flocons de cinq, dix ou quinze microns.


Il eut parfois le sentiment de devenir aussi noir, gonflé, grondant et menaçant que ses voisins toujours fuyant en avant. Refusant de céder à la contagion, il se ressaisissait se rappelant : « Nous sommes tous faits d’eau, sauf qu’elle n’est pas dans le même état ou n’a pas la même qualité pour chacun ». Un jour qu’il se répétait cette maxime en boucle pour tenir bon lui-même, une nouvelle évidence lui apparut : « L’eau. C’est à l’eau que je dois m’adresser. Elle donne à chacun son éclat de beauté particulier avec sa limpidité. Comment puis-je faire pour que l’eau, présente en nous tous, retrouve en chacun sa clarté naturelle ? »


Continuant de bourlinguer dans les ondes du firmament, continuant de se plier en quatre, huit ou douze ; de se torsader en tresses de trois, six ou neuf brins ; de se concentrer en flocons de cinq, dix ou quinze microns, Petit Nuage Blanc réfléchissait à comment réaliser cette périlleuse péripétie de galoper doucement tout en restant dans un touche-touche séparément. Tant d’oppositions étaient sur le point de le laisser désarçonné … Il était en train de sombrer dans le « perdu pour perdu » quand soudain, il changea d’expression ! « C’est ça, s’exclama-t-il ! Extrêmes pour extrêmes : réunissons les opposés ! »

Décidé et déterminé il convoqua sur le champ les auteurs des vagues et des courants : Chaud et Froid. Ces derniers, ne s’appréciant guère, firent la moue à l’idée de se retrouver face à face. Ils comprirent cependant que l’intérêt de tous était de collaborer à la bonne marche du monde. Ils acceptèrent donc de se confronter.

Une fois en présence, il se créa entre eux une tension palpable, s’arrondissant en une arène d’où à chaque instant pouvait gronder le tonnerre ou surgir l’éclair.

Petit Nuage Blanc était fermement disposé à rester le plus entier qu’il pouvait. Il arbora le profil le plus élégant qu’il put et resta de la meilleure composition qui soit. Et il pénétra dans cet espace que Froid et Chaud avaient laissé entre eux.

Tout d’un coup, son teint s’illumina et graduellement des couleurs brillantes vinrent agrémenter sa stature. L’arc-en-ciel était en train de se refléter à travers lui grâce à la blancheur qu’il avait su tant bien que mal préserver.

L’assemblée des nuages noirs n’en crut pas ses yeux ; elle resta figée quelques minutes sur place. Petit Nuage Blanc se félicita de cette suspension et s’enhardit : il invita ses voisins à l’imiter. D’abord hésitants, ils firent quelques pas timides. Le contact avec cet air électrisé ne semblait ni confortable ni rassurant. Ils constatèrent cependant que des reflets irisés voulaient bien apparaître ici ou là, au détour d’un repli, d’une volute ou d’une spirale.

Petit Nuage Blanc applaudit et exhorta ceux qui avaient fait le premier pas à persévérer et à repasser plusieurs fois entre Chaud et Froid. Animés par l’enthousiasme de Petit Nuage Blanc et remarquant également que les résultats escomptés se faisaient de plus en plus apparents et visibles, les plus courageux parvinrent bientôt à savourer ce retour à leur limpidité. Ils donnèrent aussi envie à ceux qui étaient restés plus sceptiques ou plus craintifs. De sorte que rapidement, se forma une ribambelle de nuages noirs les uns à la suite des autres, impatients de renouer avec la légèreté et la sereine spontanéité.

Petit Nuage Blanc se frottait les mains, et plus il se frottait les mains, plus il était ravi et optimiste ; et plus il était ravi et optimiste, plus le changement devenait net et durable pour ses semblables. En retrouvant leur essence cristalline, les nuages mirent fin à leur course effrénée et se disposèrent dans le ciel de façon à pouvoir se refléter les uns les autres toutes ces belles couleurs allant du vermeil profond au mauve divin, en passant par le jaune éclatant, le vert émeraude ou le turquoise soutenu.

Petit Nuage Blanc avait relevé son pari ; ses semblables voguaient désormais ensemble à un nouveau rythme plus paisible. Prenant soin de mettre en chœur et en valeur les couleurs de chacun, ils s’accordaient du temps et de l’espace afin de créer et perpétuer les plus beaux reflets irisés que l’Univers ait jamais connus.

Et Nuages Noirs, Nuage Blanc, Naguère de-ci, de-là, galopant, Par l’arc-en-ciel abracadabrant, Vivent désormais le cœur rayonnant.


Que de péripéties pour Petit Nuage Blanc ! Avez-vous aimé ses aventures ? Auriez-vous fait comme lui ? Avez-vous des conseils ou des suggestions à lui partager ? Faites-nous en part en commentaire ; nous les lirons avec plaisir ! Et si Petit Nuage Blanc suscite une prise de conscience, pour choisir l'approche qui vous semble la plus adaptée afin de l'accueillir en étant accompagné-e, c'est ici : https://www.unechouettehistoire-64.com/prestations-individuelles Dans la joie de vous revoir prochainement !

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