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Canard Perplexe !


Canard était un col-vert au plumage luisant et à la fière prestance. Il se plaisait à marivauder avec ses congénères sur les eaux calmes de son étang. Il en connaissait les moindres courants et tourbillons et il plongeait délicieusement la tête la première dans le flux de l’onde à la recherche de quelque butin nourrissant. Il quittait régulièrement l’étendue de sa traque pour y revenir nonchalant quelques temps plus tard et dans le temps de l’entretemps, il trouvait gîte à l’abri des branchages ripicoles, généreusement offerts par les bosquets d’aulnes, de saules et de noisetiers.

Mais cette année-là, Canard dut renoncer à son activité favorite de nage, ramage, papillonnage et braconnage. Un soir, un de ces soirs à la lumière ambivalente, un de ces soirs à l’obscurité envahissante, il trébucha et en vacilla si fort qu’il dut battre des ailes et dégager son poitrail pour garder l’équilibre. Il venait de tanguer sur une rondeur qu’il n’avait jamais encore rencontrée jusque-là. Encore tout ébaubi, il discerna les contours très doux d’un œuf tout lisse, tout beau, tout blanc. Bon, tout blanc, je mens un peu… car l’œuf semblait avoir roulé dans la terre et se trouvait par endroit couvert de vase, de miettes de brindilles et de menus gravillons.

Surpris de la trouvaille et bien que n’étant pas cane, Canard sentit un mouvement d’instinct au fond de lui. À l’aide de son bec, il le fit donc rouler l’oeuf pour le mettre à l’abri et commença à le couver. Il lui offrit sa chaleur naturelle et le dorlota de la délicatesse de son duvet. Cet œuf lui paraissait quelque peu spécial, avec un quelque chose de rare, voire peut-être même de bizarre : sa blancheur nacrée se révélait de jour en jour plus éclatante que celle des œufs qu’il avait pu observer jusqu’alors. Canard commença à se demander s’il avait bien fait de le prendre sous son aile. Depuis que l’œuf était là, il se sentait tenu à une présence constante, astreignante, contraignante, sans savoir trop bien ce qui se tramait là, entre ses pattes. Il se disait même parfois qu’il serait sûrement préférable qu’il continuât sa vie ordinaire, comme bon lui avait plu, comme cela continuait de lui chanter.

Il était du reste loin d’être aussi naïf que l’avait pu être cette idiote de mère du vilain petit canard, laquelle ne s’était aperçue de rien et n’avait remarqué l’étrangeté de sa couvée que bien trop tard. Lui, Canard, était fin observateur ; on ne pouvait pas la lui faire. Il savait pertinemment que s’il poursuivait ainsi, il allait se trouver face à un être « différent ». Son imaginaire débordant l’emmenait vers les histoires les plus disparates. De l’autruche d’Égypte jusqu’à l’œuf de Pangu, en passant par les dragons et les dinosaures. Pauvre Canard ! Il se rassurait comme il pouvait dans cette incertitude cornélienne. « Allons, allons, cet œuf n’est somme toute pas si différent… et puis, une vie est une vie… nous verrons bien petit à petit comment l’accueillir, la préserver et la faire grandir »


Perroquet, son voisin de feuillage, qui avait le bec un peu trop disert, avait remarqué que Canard ne sortait plus de chez lui. Ne pouvant s’empêcher d’ébruiter les bribes de ce qu’il voyait, bien que cela ne fut qu’à moitié, il commença à caqueter de-ci, de-là. « Ca-ca-ca-ca, Canard va devenir père ! Ca-ca-ca-ca, Canard va devenir père !” Canard s’empressa de le faire taire, à grand renfort de nasillements, de cancanements et de « Coin-coin, reste dans ton coin ! » Perroquet, vexé, s’en fut se percher sur un autre scion plus flexible et de Canard se fit oublier.

Canard sentait son corps accuser le coup du manque d’exercice : ses pattes commençaient à fourmiller, il ne prenait pas non plus le même temps pour pêcher et maigrissait de façon de plus en plus appréciable. Mais, comme il sortait si peu, personne ne s’en rendait réellement compte. Un matin, alors qu’il soupirait dans sa persévérance, Canard sentit quelque chose vibrer sous la coque de l’œuf. Il aurait dit que l’œuf avait envie de se trémousser, et que sa paroi devenait plus fragile ou plus translucide. Canard ne savait trop s’il rêvait, s’il prenait son rêve pour une réalité, mais cela l’encouragea à suivre cette conviction qui le tenait au plus profond de lui : l’éclosion d’un être admirable était proche.

Canard soupira encore, d’optimiste contentement cette fois. Prenant son mal en patience, il se persuada qu’il avait bien fait de se lancer dans cette entreprise un peu folle, pas mal hasardeuse, et sacrément provocante. De toutes façons, il se sentait poussé par une force indéfinissable qui venait à bout de toute résistance, le submergeant dans le défi de s’accommoder aux circonstances présentes et de faire fi de tout calcul prémédité.

Pour mieux patienter, Canard se dit que le mieux pour lui sur l’instant était donc de piquer du nez, pardon du bec. Il enroula le cou sur son poitrail, comme blotti sur lui-même et s’assoupit. Au fil de sa somnolence, des images commencèrent à flotter au-dessus de lui, au-dessus de l’étang, au milieu des fourrés. Des images au fond aussi nacrées que l’œuf qu’il avait trouvé. Dans une espèce d’auréole irisée, un mouvement attira son attention : des ailes battaient à un rythme régulier, et maintenaient juste à la surface de l’eau un être gracile, qui aurait pu paraître fragile, mais dont émanait une impression de force tranquille. « Poursuis tes efforts de patience, Canard ! Je suis bientôt prête et tu te sentiras comblé de joie et de dignité d’être resté tout ce temps, là, comme désœuvré et désorienté, hors de tes habitudes d’activité, d’efficacité et de perspicacité. Je te le promets. Et si tu tends bien l’oreille, peut-être mon nom m’entendras-tu chantonner ! » Canard se réveilla en sursaut. Perroquet était en train de jaser :

« Ca-ca-ca-ca Canard mène une vie trop pépère ! Ca-ca-ca-ca Canard mène une vie trop pépère ! » Canard soupira d’agacement mais cette fois agit autrement. Au lieu de l’invectiver sérieusement, faisant l’effort de se souvenir des moments où Perroquet avait su rester silencieux, il le remercia intérieurement, changea de position et se mit à regarder dans une autre direction. Perroquet, vexé, s’en fut se percher sur un autre scion plus solide et de Canard se fit oublier.

Plusieurs lunes passèrent encore… celle du loup et celle de la neige, celle du lièvre et celle de… Oh ! Mais… l’œuf veut bouger ! Il commence à se balancer ! Canard hésite : le maintenir, l’empêcher de rouler, le contenir, l’aider à tourner ? Il est paniqué. Il ne sait que faire. Il s’ébroue et se met à crier : « Perroquet, perroquet, viens m’aider ! » Bavard mais pas rancunier, Perroquet vint se poser près de Canard. « Ca-ca-Ca-ca…. T’inquiète pas, Canard…. Ca-ca-ca-ca… Tu vas être un père OK !” Canard nerveux fut sur le point de rétorquer méchamment un « j’ai pas envie de te ressembler ! » mais Perroquet était si pétillant de tendresse et de joie que Canard comprit enfin tout le bien que lui souhaitait son voisin et se mordit la pointe des plumes.

Ils entendirent un déchirement délicat, un piaillement harmonieux, un bruissement duveteux et…


Canard et Perroquet tous deux rassemblés Les yeux écarquillés, émerveillés, Surent que collaborer désormais L’unique solution ce serait.


Merci d'offrir à Canard vos idées pour qu'une nouvelle harmonie s'installe entre tous ! Partagez vos suggestions en commentaires :-)

*** Une part de vous s'éveille et a besoin de trouver de l'apaisement ? Peut-être pourriez-vous la lui offrir en lui proposant une pause ou éclairage nouveau au travers de l'une de ces approches ? https://www.sophiebedourede.com/eventail-d-approches Si tel est le cas, je vous accueillerai et vous accompagnerai avec plaisir. À bientôt !


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